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Avis CSCEE - Stratégie nationale bas cabon

publié le 1er novembre 2020

Le CSCEE note avec satisfaction l’engagement volontariste du Gouvernement dans sa politique d’atténuation du changement climatique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il partage l’enjeu lié au changement climatique et la nécessité d’agir fortement pour faire baisser les émissions de GES. Dans ce cadre, le secteur du bâtiment a un rôle majeur à jouer, au vu notamment de son poids important dans les émissions de gaz à effet de serre. Les acteurs de la filière ont su se mobiliser avec détermination et vigueur ces dernières années pour accélérer la baisse des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment, et réaffirment leur volonté de poursuivre les efforts dans cette voie.

Il salue les ambitions de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte qui inscrit résolument notre pays dans une dynamique de transformation de son économie en faveur du développement d’emplois locaux, qualifiés et durables au service de l’énergie, du secteur du bâtiment et de nos territoires. Il salue également les mesures novatrices de cette loi, notamment en matière de réglementation (travaux d’efficacité énergétique « embarqués » lors des rénovations, prise en compte des émissions de GES tout au long du cycle de vie du bâtiment, etc), qu’il estime aller dans la bonne voie. Le Conseil estime qu’il conviendrait que la réglementation évolue à terme vers une réglementation performantielle pour les bâtiments qui intègre tant leur performance énergétique que leur performance environnementale.

La stratégie nationale bas carbone (SNBC) a pour objet de programmer les trajectoires des différents secteurs économiques stratégiques au regard de leurs émissions de GES pour les 15 années à venir.

Si le Conseil salue l’importance reconnue du secteur du bâtiment dans la SNBC, il émet de fortes réserves sur le poids disproportionné qui lui est fait supporter dans l’effort collectif de la Nation pour répondre aux objectifs du facteur 4.

Le secteur du bâtiment, volontaire et engagé dans la transition énergétique vers une économie décarbonée

Le Conseil partage, dans leurs principes, l’opportunité et le contenu des actions énumérés dans la SNBC. Il souligne la pertinence que la SNBC ait élargie les leviers d’action au-delà des actions sur la performance énergétique du bâti et des équipements, sans omettre les nécessaires évolutions comportementales à infléchir auprès de l’usager.

Ainsi, les acteurs de la filière réaffirment leur engagement en faveur de la réduction de l’empreinte carbone du secteur du bâtiment et sont prêts à mobiliser tous les leviers, notamment d’innovation, pour accélérer les mutations nécessaires à ce changement de paradigme pour un nouveau mode de croissance durable.

Réduire la demande en énergie dans le bâtiment et les émissions de GES du secteur en développant puis généralisant l’approche en analyse du cycle de vie au niveau du bâtiment est essentiel et consolide les initiatives d’ores et déjà entreprises dans le secteur. La mobilisation des initiatives au travers des leviers incitatifs, financiers, réglementaires, pédagogiques et d’accompagnement local témoignent d’une politique ambitieuse et adaptée à la réalité des territoires.
La stratégie nationale bas carbone prévoit également de développer des actions sur des champs encore peu explorés jusqu’ici, en particulier la réduction des consommations de l’électricité spécifique, dont la part est croissante dans la consommation énergétique des bâtiments, et ouvre ainsi un champ nouveau associant pleinement l’usager.

Le Conseil partage pleinement l’ensemble de ces mesures.

En outre, il attire l’attention sur la nécessité que les dispositifs mis en œuvre pour atteindre les objectifs induisent un réel bénéfice économique net pour les usagers.

Il appelle encore à une meilleure articulation et complémentarité entre les secteurs (bâtiment/production d’énergie/transport) afin d’optimiser les économies d’énergie et réduire les émissions de GES.

Le Conseil note enfin que le mouvement pour la transition énergétique dans le bâtiment reposera aussi sur le comportement de l’usager, la conscience des ménages à agir, et la confiance à développer pour susciter la demande par une offre plus compétitive et performante.

Mais les objectifs chiffrés affectés au bâtiment sont irréalistes et lui font assumer un effort insoutenable et disproportionné.

Le Conseil observe que dans le respect des orientations de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) visant une diminution de 40% des GES entre 1990 et 2030, la SNBC définit des budgets carbone destinés à tracer la trajectoire des émissions cibles de GES de quelques secteurs économiques stratégiques par période quinquennale d’ici 2028. Ces objectifs, bien que non normatifs, ont vocation à inspirer, à servir de « cap », pour les orientations futures de la politique énergétique, les documents de planification locaux (SRCAE, PCAET, etc), les outils d’incitation financière des collectivités territoriales ou encore les mesures réglementaires ou incitatives en faveur des économies d’énergies futures.

La SNBC aura donc un effet certain sur tous ces dispositifs.

Or les budgets carbone affectés au secteur résidentiel-tertiaire placent le bâtiment face à des objectifs irréalistes et interpellent sur la place donnée au secteur du bâtiment dans l’effort collectif.

Ainsi, les hypothèses du scénario de référence, dit AMS2, ayant présidé à la définition des objectifs marquent une méconnaissance manifeste des ressorts du secteur du bâtiment, de la crise actuelle et des perspectives partagées par les acteurs. Les hypothèses ayant conduit aux objectifs affectés au secteur du bâtiment supposent que le parc résidentiel, composé de 34 millions de logements, sera rénové d’ici 2030, ce qui sous-tend un rythme de près de deux millions de rénovations lourdes par an contre à peine deux cent mille actuellement.

Pour la construction neuve dans le résidentiel, afin de tenir les objectifs de la loi TECV, le scénario de référence prévoit un rythme de construction accéléré sur le parc privé et le logement social, hors d’échelle par rapport aux résultats actuels et dans un contexte de financement très incertain. Pour le tertiaire, les hypothèses prévoient des rénovations lourdes pour des bâtiments de moins de 1000 m2 avec des dispositifs d’aides imprécis. Le scénario de référence laisse également planer de grandes incertitudes quant à la soutenabilité des hypothèses pour la dépense publique.

Ces hypothèses traduisent un effort hors de proportion du secteur du bâtiment par rapport aux autres secteurs en lui faisant supporter près de 45 milliards d’euros de surinvestissement supplémentaires, d’ici cinq ans, en 2020, dont près des trois quarts reposeraient sur les seuls ménages. Le secteur du bâtiment supporterait ainsi à lui seul et dans des délais irréalistes, près de 80 % du surinvestissement total de l’économie nationale dans l’effort collectif de la Nation vers le facteur 4. L’ensemble des autres secteurs ne représentent qu’environ 20% du surinvestissement total, alors qu’ils représentent 70% des émissions. A titre d’exemple, le secteur du transport ne porte que 3 milliards d’euros d’investissement supplémentaires en 2020 (à comparer au 45 milliards pour le secteur du bâtiment) alors que ce secteur émet, près de 30 % des émissions nationales de GES, soit davantage que le secteur du bâtiment.

Le Conseil est d’autant plus interpellé que le secteur du bâtiment qui, précurseur, a montré sa capacité de mobilisation générale autour de la transition énergétique (par les réglementations thermiques successives, la mobilisation des filières et l’innovation) et qui fort de cette expérience, connait bien les évolutions possibles des capacités opérationnelles ainsi que les effets leviers des différents outils mobilisés, se voit ainsi assigné des objectifs disproportionnés basés sur des hypothèses jugées irréalistes. Ces budgets carbone constituent un mauvais signal envoyé à la filière.

L’élaboration de ce scénario AMS2 conduit à infliger au secteur du bâtiment un effort de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de - 54% à 2028, par rapport à 2013, bien au-dessus de l’effort des autres secteurs, pourtant moins avancés dans l’engagement vers une économie bas-carbone.

Le Conseil rappelle l’engagement, la détermination et le volontarisme de la filière mais demande que les budgets carbone soient reconsidérés avec réalisme et équité.

Le Conseil renouvelle toutefois son engagement dans la transition énergétique, qui reste un enjeu collectif, et réaffirme la forte mobilisation des acteurs de la filière, mais souhaite que la consultation publique ouverte sur la SNBC soit l’opportunité d’un redressement pour fixer de nouvelles trajectoires qui devront être réalistes, raisonnables, transparentes et partagées.

Les acteurs de filière se sont engagés très tôt autour des enjeux de la transition énergétique. Ils rappellent leur mobilisation dans les démarches actuelles autour de la performance environnementale des bâtiments mais rappellent que toute évolution ne saurait s’effectuer que de manière progressive, proportionnée et sur la base d’une analyse partagée et transparente des impacts sur la soutenabilité des agents économiques, dont les entreprises et les ménages.

Les budgets carbone doivent tracer une perspective dont le signal doit être un moteur pour la filière du bâtiment et non un fardeau.